L’architecture dorsale est une petite merveille de construction où les muscles sont comme les cordages d’un bateau. D’où l’importance de les préserver et de les faire travailler.
Stabilité et mobilité. Telles sont les fonctions principales de notre colonne vertébrale, qui assure, en outre, un rôle de protection de la moelle épinière, du liquide céphalorachidien et d’une bonne partie du système nerveux. Mais comme le rappellent les kinésithérapeutes Michel Dufour et Michel Pillu, « une personne prise dans un corset est, certes, handicapée dans ses mouvements, mais peut se lever, marcher, vaquer à ses occupations », tandis qu’une autre à la « colonne mobile et sans stabilité ne peut que rester couchée ». Sans muscles, pas de salut : ils ont leur importance dans la mobilité du rachis et ils sont indispensables à sa stabilité à la façon des haubans du mât d’un voilier. D’où l’importance de leur bon fonctionnement, et l’utilité d’un renforcement musculaire quand on souffre du dos.
« Jusqu’à une époque récente, on ne préconisait l’activité physique qu’en dehors des crises, mais on sait désormais que plus les exercices sont entrepris tôt, mieux c’est », souligne le Pr Serge Perrot, rhumatologue et responsable du centre de la douleur de l’hôpital Cochin (Paris). Il s’agit, en effet, de lutter contre le « déconditionnement » à l’effort : un véritable cercle vicieux, où les croyances erronées et la peur d’effectuer des gestes, par crainte d’augmenter les douleurs, poussent le patient à réduire ses activités et ses mouvements, d’où une diminution de ses performances physiques et une faiblesse musculaire, qui vont entretenir les douleurs… et ainsi de suite. « On peut comparer ce processus à ce qui se produit lors d’une chute de cheval ou à skis : plus vite vous reprenez, moins l’appréhension sera forte. En somme, il s’agit autant de travailler sur le physique que sur le mental », ajoute le médecin.
Côté physique, la stabilité du rachis n’est pas assurée par la seule musculature, mais dépend de bien d’autres éléments. Ses vertèbres sont, en effet, empilées en trois colonnes : l’une constituée par les corps des vertèbres à l’avant, et deux autres formées par les articulaires à l’arrière. Cette structure en trépied, avec des points d’appui rendus plus solides par une densité osseuse plus élevée, donne à l’ensemble une certaine stabilité verticale. Cette architecture est encore renforcée par les disques intervertébraux et toutes sortes de ligaments qui lient les vertèbres et freinent les éventuels mouvements de glissement, bascule ou torsion : certains ligaments descendent tout au long de la colonne, à l’avant et à l’arrière des corps vertébraux, quand d’autres assurent la jonction entre deux arcs adjacents. Enfin, à ce système passif s’ajoute celui des muscles qui, à l’arrière du dos, sont organisés selon le principe des haubans, des plus courts au plus longs.
« Les abdominaux tant vantés n’ont absolument aucun intérêt dans les pathologies rachidiennes », précise le Pr François Rannou, rhumatologue à l’hôpital Cochin (Paris) et chercheur à l’Inserm (UMR-S 1124, Paris-Descartes). Ils n’en ont pas davantage s’agissant de la stabilité de notre colonne vertébrale. Ce sont, en effet, les muscles positionnés autour du rachis qui assurent cette fonction. Plus précisément, ceux appelés psoas qui joignent les lombaires aux fémurs et jouent un rôle de serrage. Plus des centaines de petits muscles qui s’insèrent en profondeur dans les gouttières délimitées par les « épines » neurales (excroissances osseuses dirigées vers l’arrière) et doublent en quelque sorte le système de « fixation » des ligaments lorsqu’ils sont en tension passive.
Riches en récepteurs proprioceptifs, ces muscles dits « épineux » renseignent le cerveau sur les positions des vertèbres les unes par rapport aux autres. Le cerveau peut alors commander l’action de deux autres muscles beaucoup plus puissants qui le recouvrent : le muscle long dorsal ou longissimus, qui court du bassin jusqu’à l’os occipital, et l’ilion-costal, muscle large et épais qui diminue de volume en approchant des cervicales. Et c’est ensemble qu’ils sont sollicités lorsqu’il faut se pencher ou se redresser.
Dans le bas du dos, zone la plus soumise aux efforts de compression, ils forment une masse musculaire renforcée par un système fibreux qui se plaque contre la colonne lorsqu’elle se contracte, et forme ainsi un ensemble rigide protégeant les lombaires. Quant aux muscles abdominaux, il a longtemps été admis qu’ils permettaient de protéger les lombaires lors du port de charges, en formant un « caisson » protecteur. Ce concept a néanmoins été remis en cause il y a une quinzaine d’années par Nikolai Bogduk, professeur émérite et spécialiste des douleurs vertébrales à l’université de Newcastle (Australie). Et si le renforcement des abdominaux reste recommandé par la Haute Autorité de santé en cas de lombalgie, les études sont loin de faire consensus.
Une chose est sûre : la prise en charge de cette pathologie se doit d’être pluridisciplinaire : tenant compte tout à la fois des dimensions physique, psychologique, socioprofessionnelle, elle doit associer rhumatologue, spécialiste de médecine physique et de réadaptation, médecin du travail et kinésithérapeute. « Dans l’idéal, le renforcement musculaire est initié avec le kinésithérapeute, qui fournit ensuite à son patient un programme d’exercices qu’il va pouvoir réaliser seul », commente le Pr Rannou.
Le choix des exercices revient au praticien, qui doit trouver un compromis entre l’efficacité du travail musculaire qu’il propose et sa faisabilité par le patient lorsqu’il se retrouve seul à son domicile. Mais au-delà, poursuit le chercheur, il importe également d’informer celui ou celle qui souffre du dos, pour lui permettre de comprendre ses maux et faciliter l’observance thérapeutique :
« Nous avons démontré, il y a une dizaine d’années, qu’en cas de lombalgie, un dépliant d’une dizaine de pages luttant contre les fausses croyances permet de diminuer de 25 % le passage à la chronicité. »
● L’activité physique protège notre dos, comme l’a notamment montré une étude norvégienne conduite auprès de quelque 47.500 adultes : les troubles musculo-squelettiques étaient 28 % moins fréquents chez ceux qui faisaient de l’exercice trois fois par semaine.
● Assis face à un écran, on a tendance à hausser les épaules, tendre le cou vers l’avant, tout en retenant sa respiration par intermittence, d’où une augmentation des tensions musculaires, et partant, des douleurs.
● La technique dite du verrouillage lombaire consiste à bloquer cette zone en contractant les fessiers, en rentrant le ventre et en faisant basculer le bassin, lors du port de lourdes charges.